Philippe Dagen - Le Monde - 2010

Avec "Le Meilleur Monde", les bonnes nouvelles à la "une" !

Etre cité dans une toile ou un dessin, figurer dans une installation, "Le Monde" en a depuis longtemps l'habitude. En 2009, lors de la Biennale d'art de Venise encore, l'artiste béninois Georges Adeagbo avait largement tapissé les murs de pages du journal, choisissant les plus inquiétantes. Mais faire l'objet d'une analyse méticuleuse qui donne naissance à un vrai-faux numéro du quotidien à l'identique, le cas est plus rare. Elvire Bonduelle, toute jeune artiste diplômée des Beaux-arts de Paris, a lu "Le Monde" très attentivement et les ciseaux à la main pendant trois mois et demi, de janvier à mi-avril. Elle y cherchait des informations d'un type particulier : de bonnes nouvelles, de celles qui donnent brièvement l'espoir que la planète ne va pas au désastre.

Quand elle en a eu collecté assez, elle en a fait un numéro, Le Meilleur Monde. Il n'a que seize pages, dont la dernière occupée par un monochrome rose. Au premier regard, on s'y tromperait. La "une", la titraille, l'ordre de ses rubriques, tout est respecté. Mais le lecteur s'aperçoit vite que, durant la période considérée, les bonnes nouvelles ont été fort rares en politique intérieure et en économie. Les pages "sciences", "culture" et - de façon moins attendue, celles consacrées à la politique internationale - ont été de meilleures pourvoyeuses. Evidemment, Elvire Bonduelle a supprimé le carnet et la rubrique "Disparitions". Tous les articles repris le sont intégralement, comme des documents d'archives, signés et datés.
On est donc bien loin des détournements et parodies de la presse qui paraissent de temps en temps, lestés de leurs lourds jeux de mots. Le travail d'Elvire Bonduelle fera la joie des historiens de l'information et des sociologues. Sous son apparente légèreté, il a la rigueur et l'efficacité d'une analyse quasi scientifique.

A la criée

Donc, "Le Monde" ne cherche pas à rendre ses lecteurs euphoriques et ne les entraîne pas dans l'univers doré des "people". On le vérifie à la minceur même du Meilleur Monde. Ce qui se vérifie aussi, c'est combien il suscite l'attention. Elvire Bonduelle a vendu des exemplaires de "son" journal dans la rue, à la criée : le succès a été tel qu'elle se propose de recommencer. Elle a déposé des exemplaires dans les librairies des musées et galeries parisiennes : la plupart demandent des réassorts. Même succès pour la présentation à la galerie Intuiti (12, rue de Thorigny, Paris 3e). Or son "Meilleur Monde" est un peu plus cher que le vrai : 10,40 euros pour un tirage de 1 000 exemplaires. Autant de bonnes nouvelles qu'il serait logique de voir figurer dans une prochaine version, actualisée, du "Meilleur Monde". 

Philippe Dagen, Le Monde, 10/07/2010 et Le mensuel du Monde, 08/2010.