Patrick Javault - Trois mois comme un jour - 2010

Qu’il s’agisse de lancer un manifeste ou de transformer un acte en événement, ce qui conduit en général les artistes à s’emparer d’un quotidien de presse, est une affaire de vitesse. Une manière de jouer le temps bref de l’actualité contre celui long de l’histoire de l’art, une manière aussi de revendiquer une place ailleurs dans la vraie vie. En confectionnant son numéro spécial du quotidien Le Monde, Elvire Bonduelle continue une longue tradition. Mais en ne publiant que des informations trouvées, datées et chargées d’un coefficient positif, elle produit un geste inédit.
L’actualité heureuse, ce slogan d’un hebdomadaire d’autrefois, n’est que rarement politique et quand elle l’est, c’est le plus souvent à l’échelle municipale ou régionale. Elvire Bonduelle reconnaît que les annonces de réformes ou les projets énoncés par les politiques, quand dire c’est faire, l’ont aidé dans son travail de fourmi. Ces promesses de bonheur ressemblent un peu à l’art, et pas uniquement à celui de la performance.
Pour amasser les bonnes nouvelles, il ne suffit pas d’être patient et méthodique mais il faut être soi-même doté d’un tempérament optimiste. Ne pas imaginer par exemple que la partie engagée par Medvedev contre la corruption est perdue d’avance ou qu’elle pourrait manquer de nerf. De toute façon, trois mois de collecte pour un numéro du Monde plutôt mince porte en soi la condamnation de l’optimisme. Bonduelle y croit mais ne cherche visiblement pas à nous convaincre qu’elle a raison, préservant sur ce plan la neutralité de l’information. 
Le côté fait-main de l’entreprise n’est pas son aspect le moins intéressant, et il confère à ce numéro un caractère fragile en accord avec son contenu incertain. Un collage ou “recollage” qui dans sa façon d’écarter la violence et de faire taire les cris préserve un caractère utopique. Un “ça pourrait aller” d’aujourd’hui, plutôt qu’un “ça ira” d’hier. Ce journal est donc aussi un manifeste, celui d’une position, position en partie instable puisqu’elle consiste à faire semblant de ne pas voir ce qui saute aux yeux, à oeuvrer comme un faussaire pour donner l’illusion que les choses ne vont pas si mal. A l’heure où les artistes revendiquent le réel comme leur espace privilégié, Elvire Bonduelle se paie le luxe d’un activisme à la Frank Capra. Elle nous offre ainsi un objet aux couleurs d’une réalité anémiée, le souvenir d’un jour réussi et presque vrai ; façon sans doute de retenir ses larmes.